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Amour et Psychanalyse

Un peu, beaucoup, à la folie, passionnément

Qu'est-ce que l'amour ? Voici une question qui déchaîne bien des passions. De tous temps, écrivains, penseurs, poètes, artistes, psychanalystes se sont penchés sur le sujet. Leur conceptions se rejoignent, s'opposent ou se contredisent pour parler de cette émotion étrange et singulière.  Ici, seulement quelques pistes...

Et pour vous, c'est quoi l'amour ?

Amour et psychanalyse. Qu'est-ce qu' l'amour ? Qu'est-ce que le transfert dans la psychanalyse ?

L'amour selon la psychanalyse :

 

En 1905, dans ses "Trois essais sur la théorie de la sexualité", Sigmund Freud distinguait l'amour de la passion amoureuse. Concernant l'amour, il faisait référence au discours d'Aristophane du Banquet de Platon où l'homme et la femme tendent, dans l'amour, à s'unir de nouveau :

 

 

Mythe Aristophane de Platon. Origines de l'amour

Le mythe d'Aristophane :

 

« Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est actuellement. D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux comme aujourd’hui : le mâle, la femelle, et en plus de ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu. c’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, dont elle était formée. De plus chaque homme était de forme ronde sur une seule tête, quatre oreilles, deux organes de la génération, et tout le reste à l’avenant. […]

 

Ils étaient aussi d’une force et d’une vigueur extraordinaire, et comme ils étaient d’un grand courage, ils attaquèrent les dieux et […] tentèrent d’escalader le ciel […] Alors Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti à prendre. Le cas était embarrassant ; ils ne pouvaient se décider à tuer les hommes et à détruire la race humaine à coups de tonnerre, comme ils avaient tué les géants ; car c’était mettre fin aux hommages et au culte que les hommes leur rendaient ; d’un autre côté, ils ne pouvaient plus tolérer leur impudence.

 

Enfin, Zeus ayant trouvé, non sans difficulté, une solution, […] il coupa les hommes en deux. Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et s’embrassant et s’enlaçant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble […]

 

C’est de ce moment que date l’amour inné des êtres humains les uns pour les autres : l’amour recompose l’ancienne nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. […] Notre espèce ne saurait être heureuse qu’à une condition, c’est de réaliser son désir amoureux, de rencontrer chacun l’être qui est notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature première. »

 

"L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas "

Aimer c'est essentiellement vouloir être aimé

 

Ainsi, selon le mythe d'Aristophane, l'amour nait de la division. Chaque moitié va aller chercher l'autre avec le désir de reconstituer le tout, la nostalgie de la perfection perdue. Mais ce désir est voué à l'échec car l'union de deux êtres imparfaits n'aboutira jamais à la perfection. De plus,  la réunion de deux êtres individués ne supprimera jamais l'individuation. Et fort heureusement d'ailleurs car cette plénitude d'un être comblé et ne manquant de rien renverrait à un être qui ne serait pas un être de désir. En effet, le désir nait du manque puisqu'on ne ne peut désirer que quelque chose que l'on a pas ou que l'on a plus.

 

C'est ce qui fera dire à Jacques Lacan que  "L'amour, c'est offrir à quelqu'un qui n'en veut pas quelque chose que l'on n'a pas » (in Séminaire XII, 1965)

Aimer, c’est reconnaître son manque et le donner à l’autre, le placer dans l’autre. Pour Lacan, cette chose que le sujet n'a pas est la part à jamais perdue de lui-même, constituée du fait qu'il n'est qu'un être vivant sexué et mortel.

Lacan dira qu'« Aimer c'est essentiellement vouloir être aimé ». Comme l'explique le psychanalyste Jacques-Alain Miller , on aime celui qui répond à notre question » Qui suis-je ? » Aimer vraiment quelqu’un, c’est croire qu’en l’aimant, on accédera à une vérité sur soi. (in "La psychanalyse enseigne t-elle quelque chose sur l'amour ?", Psychologie magazine n°278).

 

L'amour de transfert :

L'amour de transfert en psychanalyse

 

« Nous contraignons le patient à renoncer à ses résistances par amour pour nous. Nos traitements sont des traitements par l'amour « , déclarait Freud en 1907.

 

Dans la cure analytique, le patient reporte ses investissements libidinaux, sentiments positifs, négatifs ou ambivalents et désirs inconscients au départ adressés aux figures parentales, sur la personne de l'analyste. Ce mécanisme est présent dans bon nombre de relations humaines mais il est ici exacerbé par la demande de guérison que le patient adresse au thérapeute. C'est ce déplacement, ce report de relations anciennes actualisées dans la cure, que l'on nomme transfert.

 

« Dans chaque traitement analytique, s’instaure, sans aucune intervention du médecin, une relation affective intense du patient à la personne de l’analyste, relation qui ne peut s’expliquer par aucune des circonstances réelles. Elle est de nature positive ou négative, va de l’état amoureux passionnel, pleinement sensuel, jusqu’à l’ex­pression extrême de la révolte, de l’exaspération et de la haine. Cette relation, qu’on appelle, pour faire bref, transfert, prend bientôt la place chez le patient du désir de guérir et devient, tant qu’elle est tendre et modérée, le support de l’influence médicale et le ressort véritable du travail analytique commun. »
 (Freud, in « Freud présenté par lui-même », 1925).

Transfert négatif dans la cure psychanalytique. illustration de Ralph Steadman, caricaturiste britannique.
Illustration de Ralph Steadman

Ce processus est le moteur de tout travail analytique mais peut aussi drainer des résistances. Comme lorsque le patient se censure pour ne pas décevoir l'analyste (« Je me demande bien ce que vous pensez de ce que je vous dis »). Aussi, une partie du travail portera sur la verbalisation et l'interprétation du transfert comme le signifiait Freud : 

 

« Il convient de maintenir ce transfert, tout en le traitant comme quelque chose d’irréel, comme une situation qu’on traverse forcément au cours du traitement et que l’on doit ramener à ses origines inconscientes, de telle sorte qu’elle fasse ressurgir dans le conscient, tout ce qui, dans la vie amoureuse de la personne en souffrance était resté le plus secret et qui maintenant pourra aider cette dernière à le contrôler » (in "Observation sur l'amour de transfert", 1915)

 

La confiance en l'analyste est nécessaire pour que le transfert puisse se mettre en place, évoluer, s'interpréter puis se dissoudre :

 

 « C'est d'un manque d'amour que le patient vient chercher recours en analyse. Et c'est en reconstituant sa confiance et sa capacité amoureuse dans le lien transférentiel, avant de prendre ses distance par rapport à lui, qu'il conduit son expérience analytique. D'être le sujet d'un discours amoureux pendant les années de mon analyse- et au meilleur des cas après- je suis en contact avec les potentialités de renouvellement psychique, d'innovation intellectuelle, voire de modification physique. »

(Julia Kristeva, in" Au commencement était l'amour", 1985)

Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse

Élisabeth Roudinesco, Plon, octobre 2017.

Écrit à la première personne, le dictionnaire abandonne l'approche conceptuelle pour le style de la leçon de choses et prendre la voie du voyage (entrée par noms de ville, de personnage de romans, d'artistes..).

En procédant ainsi, l'auteur souhaite illustrer la manière dont la psychanalyse s’est nourrie de littérature, de cinéma, de théâtre, de voyages et de mythologies pour devenir une culture universelle :

 

« En sa version originelle toujours active, elle annonce que l’homme, tout en étant déterminé par un destin, peut se libérer de ses chaînes pulsionnelles grâce à une exploration de lui-même, de ses rêves et de ses fantasmes. »

Dictionnaire de la vie amoureuse, Roudinesco